Anciens élèves de Fromentin

Docteur Carrière, élève à Fromentin de 1882 à 1888

Nous ne disposons pas des bulletins annuels antérieurs à 1911, mais en cette année du 140ème anniversaire de la création de l’amicale des anciens de Fromentin, j’ai souhaité partager avec vous de larges extraits du discours du Docteur Carrière, professeur à la faculté de médecine de Lille, président d’honneur du banquet donné le 7 février 1914. Ce témoignage évoque ses années passées au Lycée de La Rochelle de son arrivée en 1882 jusqu’au bachot. Il se termine par un hommage appuyé et reconnaissant à ceux qui l’ont formé, hommage qui garde aujourd’hui tout son sens.

Certes, le jour de mon entrée au Lycée de La Rochelle ne fut point une de ces journées que l’on marque d’une pierre blanche !

Lorsqu’en 1882, je franchis, un soir d’octobre, la grande porte sévère de notre vieux Lycée, lorsque, arrivé dans ce parloir un peu sombre, je déclinai mes nom et prénoms devant le répétiteur assis à la petite table éclairée d’une lampe à huile auprès de laquelle se tenait debout, immobile, un homme, à la mine rébarbative, que beaucoup d’entre vous ont sans doute connu : le censeur Timothée Durand, lorsque j’allais m’asseoir sur l’une des banquettes adossées au mur à côté de camarades inconnus, lorsque, quelques instants plus tard, je pénétrai, après un séjour de quelques minutes dans l’étude des petits, dans le vaste dortoir, un peu lugubre, mais sentant bon la cire fraiche, où, le long des fenêtres ornées de blancs rideaux, se profilaient nos petits lits en fer, ce ne fut point, vous le savez tous par vous-mêmes, vous tous qui fûtes internes, ce ne fut point, dis-je, une impression de bonheur qui pénétra mon être!

La séparation d’un enfant de neuf ans, qui vient de quitter le sein d’une famille tendrement aimée où il n’a connu que des joies, lui met au cœur une tristesse intense, une angoisse qu’il ne sait pas analyser, une désespérance infinie. On écrase la larme qui vient sourdre sous la paupière, on veut paraître fort, l’on ne veut pas sembler pusillanime aux camarades qui, déjà anciens, sont habitués à la rentrée et qui veulent se donner et donner aux autres l’illusion d’être déjà des hommes, alors qu’ils éprouvent, au fond de leur cœur, exactement les mêmes impressions que l’on éprouve soi-même.

L’on finit, néanmoins, par s’endormir et les rêves ailés vous reportent à la chambrette, au petit lit où, chaque soir, la maman avait l’habitude de venir vous border. L’impression de tristesse persiste le lendemain, lors du réveil, au son de cloche annonçant le lever, dans la nuit noire, à l’étude inoccupée où l’on ne sait faire autre chose que de dévisager les camarades, à la récréation, dans cette vieille cour de la chapelle, au morne réfectoire, où l’on mange mécaniquement et sans appétit.

Mais, bientôt, la succession des jours, le rythme régulier d’un emploi du temps bien réglé, les devoirs et les leçons, l’émulation qui se dessine finissent par endormir la tristesse ct la vie reprend son cours. Alors, commence à s’éveiller dans l’esprit l’espoir des vacances prochaines, des joies qu’elles nous promettent, des bonheurs que l’on entrevoit. On revêt, avec fierté, le premier uniforme, la tunique et le caban aux boutons d’or, on coiffe le képi qui vous donne l’illusion d’être déjà soldat !

Les semaines succèdent aux semaines, séparées les unes des autres par les bienheureuses sorties où, libre, l’on savoure, pendant quelques heures, les joies de la famille, le bonheur de parcourir les rues de la vieille cité, d’aller contempler le port, les navires dont les voiles sèchent ou qui s’envolent vers le large et la mer aux horizons de laquelle on devine, là-bas, perdu dans la brume, le profil lointain de la chère ile natale!

Dans ce cycle ininterrompu l’on vit, certes, bien des heures grises: celles des compositions que l’on n’a pas réussies, celles des punitions, justifiées le plus souvent, parfois imméritées, celles des sorties manquées lorsque l’on ne parvient pas à réunir les ordres du jour libérateurs de la sortie d’honneur ! Mais aussi que d’heures roses: celles des récompenses, celles des félicitations, celles des approches des vacances, celles de la distribution des prix, celles des bonnes amitiés !

Ainsi, les mois s’écoulent, les années passent, un peu lentement, sans doute, plus lentement oh! combien qu’à notre âge, jusqu’au jour où, débarrassés du spectre du bachot, l’on dit adieu au vieux Lycée, aux amis qui demeurent, aux maîtres que l’on aimait et tout cela, je dois l’avouer, le cœur rempli de joie.

C’est en effet, un jour de grand bonheur, un jour de triomphe, un jour d’ivresse que celui où nous franchissons pour la dernière fois la porte du vieux bahut et où nous entrons, frémissants, dans la vie d’étudiant avec la barre vers l’avenir?

Alors, faisant un retour sur nous-mêmes, nous reportons volontiers notre pensée vers le temps écoulé, vers notre jeunesse. Les événements nous ramènent dans notre vieille cité.

Je me revois encore, il y a quelques années, descendant la rue du Palais, arrivant devant la porte du Lycée. On était au temps des vacances! Je m’y glissais, parcourant les couloirs et les cours, jetant un coup d’œil dans l’étude, au réfectoire. Je pénétrais dans cette classe de rhétorique que j’ai tant aimée; je m’asseyais à la table à laquelle j’avais l’habitude de m’assoir et là, les yeux dans le vague, rappelant les souvenirs de ma jeunesse qui accouraient en foule à tire-d’aile, j’ouvrais, dès les premières pages, le livre de ma vie, j’en tournais lentement les feuillets, je revécus ces années heureuses dont je n’avais point, alors, perçu la saveur.

Voici la classe avec le professeur nous faisant expliquer notre version latine ou notre auteur grec avec une patience souvent digne d’admiration, les émotions que nous éprouvions lorsque entraient le proviseur et le censeur pour nous donner, solennellement, chaque semaine, lecture des notes et des places et surtout lorsqu’y pénétrait cet homme terrible, l’inspecteur, dont la venue nous terrifiait, bien des jours à l’avance.

Voici la grande étude avec les becs de gaz haut placés dont les larges abat-jours nous reflétaient une lumière tamisée ; les cases adossées au mur où s’entassaient les livres, les cahiers et la boite dans laquelle nous élevions, en cachette, le lézard, ami de l’homme, ou bien les vers à soie ; les noirs pupitres gravés des noms de nos devanciers, le tableau où nous aimions aller, deux à deux, discuter les problèmes de géométrie.

Voici les cours ombragées de tilleuls, où, petits, nous ne ménagions guère nos forces, allant des barres au chat perché, du jeu de l’ours aux courses effrénées et où, devenus grands, nous devisions de questions plus sérieuses ou repassions des résumés de cours à l’approche du bachot, alors qu’éperdus dans les airs, les martinets, ivres de liberté, fendaient le ciel !

Voici le dortoir endormi lorsque sonnait la cloche du réveil et dans lequel bondissait le censeur, claquant furieusement des mains pour nous faire sortir du lit sous la lumière blafarde de la lanterne qui blêmissait au-dessus du lavabo dont l’eau froide, oh combien ! nous réveillait tout à fait.

Maintenant, c’est l’heure de la promenade, le jeudi. Alignés sous les porches qu’emplissait le célèbre paulownia qu’ont chanté tous mes prédécesseurs, sanglés dans nos tuniques, le képi crânement posé sur la tête, nous attendions avec impatience la décision du censeur nous expédiant vers les lieux aimés : le Mail, la pointe des Minimes ou vers les routes désertes de Dompierre ou d’Aytré, manquant véritablement de charme. L’envolée était joyeuse, néanmoins, et après avoir rempli de nos cris, de nos chants et de nos jeux les campagnes traversées, nous revenions, non sans tristesse, à l’étude du soir où nous avions alors l’autorisation de nous plonger dans la lecture des aventures du capitaine Corcoran, de Gulliver ou de Sinbad le marin.

Je revécus aussi nos bataillons scolaires dont vous reparlait, il y a quelques années, l’un de mes prédécesseurs dans un discours fort humoristique. Je revoyais le père Kuentz nous faisant manœuvrer dans la cour de la chapelle ou, en plein hiver, nous faisant décomposer la charge en douze temps, les doigts gelés sur le canon du fusil et nous traitant irrévérencieusement de pompiers quand il ne nous appliquait pas avec force jurons à l’appui, de son fort accent alsacien, d’autres qualificatifs soldatesques ! Il était terrible ce père Kuentz et j’en ai conservé un souvenir terrifié !

Et puis les querelles, les pugilats, les jours de fête, celle des Rois où l’on nous autorisait à nous gaver, à nos frais, de pâtisseries innombrables sans se soucier nullement de la capacité de nos estomacs ; le doux muscat dont on nous gratifiait lorsque nous allions affronter les épreuves du concours général, l’heure du bachot, l’émotion inhérente à ce terrible examen, l’école Bonpland où s’effectuaient alors les compositions écrites, les journées d’attente et d’angoisse, l’arrivée des fameuses lettres recommandées nous annonçant l’admissibilité, les affres de la comparution devant nos juges, la proclamation des succès, l’arrivée triomphale dans la famille!

Dire le temps qui s’écoula pendant que se déroulaient devant mes yeux, véritable film cinéma, ces images et ces souvenirs que je croyais à jamais envolés? Je ne le saurais ! Mais ce que je sais bien, c’est que je sortais de ce rêve délicieusement ému et que cette heure fut l’une de celles de ma vie que je ne saurais oublier!

Je conçois parfaitement le soupir de soulagement que nous poussons en disant adieu au Lycée. Il a sa cause intime dans les souvenirs cuisants que nous a laissés la discipline sévère dont on nous gratifiait alors, dans la tristesse de la séparation familiale, dans l’ère de liberté qui s’ouvre devant nous comme l’air pur aux vastes espaces devant l’oiseau échappé de sa cage, dans l’envolée vers l’avenir qui nous rend frémissants.

Je crois aussi que, plus nous vieillissons, plus nous sentons toute la reconnaissance que nous devons à ceux qui nous ont formés. Ce sentiment-là, je crois qu’on ne l’éprouve guère et si bien qu’au moment où, comme nous, universitaires, l’on est chargé du développement intellectuel des jeunes générations.

Lorsqu’on sent que l’on a un élève, des élèves, que l’on est destiné à former, à instruire, dont on doit développer les connaissances théoriques, pratiques et morales, à qui l’on doit transmettre le flambeau, comme les coureurs antiques, c’est à ce moment-là que l’on commence à apprécier à sa juste valeur tout ce que l’on doit aux maîtres qui, eux-mêmes, nous ont communiqué l’étincelle qui a fait jaillir en nos cerveaux le feu de la science.

Louis Suire, élève à Fromentin de 1910 à 1916

Louis Suire (par Roland Bourguet)

Louis Suire (par Roland Bourguet)

Enfant rochelais issu d’une famille bourgeoise, Louis Suire a pu suivre tôt des cours de dessin sous Louis Giraudeau. C’est aussi grâce à ce dernier qu’il découvrit en 1912 une Île de Ré encore sauvage et très recluse. Aussitôt tombé sous son charme il décida d’y acquérir, un jour, une maison.

Son talent permit à l’artiste une entrée aux Beaux-Arts à Paris. C’est l’époque où il fréquente l’Académie Julian, se lie d’amitié avec Paul Signac, Albert Marquet et André Dunoyer de Segonzac. Après un court intermezzo forcé par la Première Guerre mondiale, il put revenir à La Rochelle où il épousa rapidement, en 1923, sa femme Hélène – son amour depuis l’âge de 14 ans. Une année plus tard leur fils Claude vit le jour.

Encore cinq années plus tard, en 1929, le couple Suire acheta une maison sur l’Île de Ré, dans le village Les Portes-en-Ré plus précisément à La Rivière. Cette maison est devenue par la suite l’atelier du fils ainsi que du petit-fils de Louis Suire pour nommer ces deux artistes : Claude Suire et Olivier Suire-Verley.

Vivant toujours à La Rochelle et ayant un pied-à-terre sur l’île, la famille Suire d’abord en couple puis avec leur fils Claude, fit maints voyages sur l’ile servant d’inspiration à l’œuvre abondante du peintre. Génial touche-à-tout, Suire devint éditeur en créant la maison La Rose des Vents principalement dédiée au régionalisme illustré par ces propres mains.

Tableau de Louis Suire

Tableau de Louis Suire

La Seconde Guerre mondiale frappa sa vie plus fortement et lui valut deux années d’emprisonnement dans un camp de travail en Allemagne. Mais il revint sur son territoire pour continuer son œuvre artistique ainsi que sa vie de Rochelais, Rhétais mais surtout de mari et de père. Louis Suire s’est éteint en 1987, la même année que sa femme Hélène.

Les peintures de Suire ont souvent servi de motif pour cartes postales. C’est aussi grâce à ce média que se propage encore aujourd’hui le coloris très spécial que Suire donnait à ses tableaux et ainsi à l’image de l’ile de Ré. Sa vision de la lumière rhétaise et de la simplicité architecturale et paysagiste de l’ile sont des ambassadeurs les plus actuels pour tout le charentais.

Maurice Gadal, élève à Fromentin de 1914 à 1920

Maurice Gadal est né à La Rochelle le 21 août 1902. Il a fait ses études au Lycée de la Rochelle de 1914 à 1920. De ses mémoires, nous avons extrait ces quelques passages très intéressants, relatifs à sa scolarité. Il y évoque notamment Jean-Paul Sartre. Remontons donc le temps de près d’un siècle. Laissons-le nous guider et franchir la porte du Lycée de l’époque…

Me voici donc au Lycée de ma ville natale, qui porte aujourd’hui le nom d’Eugène Fromentin, le plus illustre de ses élèves. Je franchis la première fois la porte avec une indicible émotion. Tout y est nouveau pour moi. Je pénètre dans la cour d’honneur à l’ordonnance classique, faite de mesure et d’harmonie. Je parcours le vaste péristyle qui l’encadre et le long duquel s’ouvrent les principales salles de cours de l’établissement. Chacune d’elles est disposée en gradins en face de la haute chaire professorale. Au-dessus de la porte, l’indication de la classe correspondante, de la Onzième à la Seconde, numérotage qui me parait bien insolite. Mais les dernières salles excitent bien davantage ma curiosité. Rhétorique, Philosophie, Mathématiques Elémentaires. Quels noms étranges ! Et comment les Mathématiques Elémentaires peuvent-elles se situer au sommet de la hiérarchie scolaire ? Tout cela est bien mystérieux.

Je vais aborder tout de suite l’étude du latin (ce n’est que deux ans plus tard que j’aborde celle du grec), mais dès les premières leçons d’histoire ancienne, mon imagination est vivement sollicitée par l’atmosphère classique du cadre dans lequel tout cela m’est enseigné. Les souvenirs de l’Antiquité surgissent autour de moi et j’ai vite fait de peupler le péristyle des ombres des maîtres athéniens qui, à la manière d’Aristote, enseignaient la philosophie à leurs disciples en se promenant sous les portiques du Lycée. Imagination d’enfant, direz-vous. Ces premières évocations ont pourtant conditionné une partie de ma vie intellectuelle.

Ici, tout est grave et solennel. Le Proviseur porte « ne varietur » la redingote et le chapeau haut-de-forme, le Censeur, la jaquette et le chapeau melon. C’est une sorte d’uniforme auquel ils ne peuvent pas échapper. Je ne les ai jamais vus habillés autrement.

Chaque semaine, avec une immuable régularité, ces deux personnages assistent en classe à la lecture des notes qui comporte toujours les résultats d’une composition. Les bons élèves sont gratifiés d’une « exemption » concrétisée par un magnifique carton, blanc pour l’exemption du Proviseur, rose pour l’exemption du Censeur, et qui peut servir, selon cette hiérarchie, à compenser les punitions. Les places de Premier et Second font également l’objet de la remise d’un véritable diplôme. Les jours d’inspection on prépare une table recouverte d’un tapis vert à laquelle prennent place l’Inspecteur Général, le Proviseur et le Censeur ; c’est vraiment impressionnant.

Mon professeur de latin, qui est docteur ès lettres, porte naturellement le « col-agrégation ». Quant à celui qui, deux ans plus tard m’enseignera le grec, il porte une barbe à la Démosthène, et est capable de vous réciter sans erreur trois cents vers de l’Iliade et de l’Odyssée, pris au hasard du texte, à n’importe quelle page. Encore ces professeurs ne portent-ils plus la toge pour donner leur enseignement, comme c’était le cas quelques années auparavant, usage qui a subsisté aujourd’hui dans les seules facultés de Droit !

Par contre, les classes d’Allemand à effectif réduit se passent dans l’atmosphère la plus détendue et la moins solennelle qu’on puisse imaginer. Ce sont vraiment des classes de langue vivante dans le meilleur sens du terme, faites par quelqu’un qui n’a pas attendu les pédagogues de 1970 pour pratiquer la méthode directe et l’usage de la conversation.

Mais la vie du Lycée sera bien vite bouleversée. Après les premiers combats de la guerre, les premiers revers, l’invasion de la Belgique et du nord de la France par les armées allemandes, les hôpitaux regorgent de blessés. Le Lycée est transformé en hôpital militaire, l’internat supprimé et les dortoirs réquisitionnés par le service de santé.

L’accès de la cour d’honneur est désormais interdit aux élèves qui sont cantonnés dans les cours latérales, les portes des classes donnant sur le péristyle sont condamnées, et l’on y accède par les fenêtres à l’aide d’un escalier de bois.

La situation nationale est dramatique…

Et pourtant, la vie scolaire continue. À part deux ou trois exceptions, le corps professoral est au complet. Je serai seulement privé pendant toute ma scolarité d’un professeur de musique et d’un professeur de dessin. Pour cette dernière discipline artistique cette absence me sera très dommageable. Dois-je y voir la raison pour laquelle je ne me suis intéressé que beaucoup plus tard à la peinture ? C’est possible. Et pourtant, j’avais pu voir à La Rochelle quelques-unes des plus belles toiles d’Eugène Fromentin, et lire avec passion ces livres prestigieux qui s’appellent « Un été au Sahara » et « Une année dans le Sahel », ainsi que « Les maîtres d’autrefois », ouvrage consacré en particulier à Rubens et à Rembrandt. Probablement ai-je surtout été frappé, dans ces livres, par le côté littéraire, par la magie des mots à laquelle mon imagination était déjà si sensible.

Par contre, pour étrange que cela puisse paraître, Je n’ai pas su tout de suite que Fromentin était l’auteur d’un des dix ou douze chefs-d’œuvre du roman psychologique français, « Dominique », qui avait eu une influence profonde sur toute une génération d’écrivains, au premier rang desquels François Mauriac.

Lorsque j’ai découvert « Dominique », j’ai pensé bien souvent à la petite maison blanche de St Maurice où Fromentin a vécu son drame intérieur ; et récemment, au cours d’un voyage à La Rochelle, j’ai fait avec émotion le pèlerinage du petit cimetière où reposent, presque côte à côte, le romancier et celle qui fut l’héroïne de cette triste et touchante aventure. Je suis d’autant plus sensible à ce souvenir que j’ai eu le privilège de connaître le petit-fils d’Eugène Fromentin, avec lequel j’ai eu des liens de camaraderie vers la fin de mes études secondaires: Christian Dahl. Sa mère avait épousé un armateur norvégien, fixé à La Rochelle. Son nom étonnait parfois, et je lui ai entendu dire avec son sourire mi-amer, mi-amusé : « Certains disent que je suis un métèque, et pourtant, ma mère est la fille d’Eugène Fromentin ! »

Jean Paul Sartre

Mais revenons au Lycée. L’année de ma troisième, une ombre illustre passa parmi nous. Durant toutes mes études d’allemand nous avons eu entre les mains les manuels de Charles Schweitzer, qui semble avoir été l’inventeur de la méthode directe pour les langues vivantes. Charles Schweitzer, qui appartenait à une vieille famille alsacienne de religion protestante, était l’oncle du pasteur Albert Schweitzer, le célèbre docteur de Lambaréné, qui mit au service de l’humanité ses dons si éclatants et si divers de médecin, de philosophe et de musicien.

Il avait eu pour élève, à Paris, M. Riemer, alsacien comme lui, qui était alors mon professeur d’allemand. Un beau matin de l’année 1917 nous vîmes arriver dans la classe un grand vieillard à la barbe fleurie. Il s’entretint amicalement avec notre professeur, s’assit avec simplicité à une table, et nous interrogea avec une aimable familiarité facilitée par le nombre restreint des élèves. Nous le primes pour un inspecteur général – mais d’un genre peu solennel – Nous le revîmes plusieurs fois. Bien des années après, j’appris qu’il venait alors à La Rochelle de temps en temps pour embrasser son petit-fils qu’il chérissait tendrement.

En effet, ce dernier, orphelin de père, avait été élevé par Charles Schweitzer, mais sa mère s’était remariée avec un ingénieur que les hasards de la guerre amenèrent à La Rochelle à l’usine de Vaugoin, qui travaillait alors pour la Défense Nationale et où il resta jusqu’en 1919. Or, le petit-fils du vénérable grand-père Schweitzer n’était autre que Jean-Paul Sartre qui était notre condisciple plus jeune et que nous avons côtoyé pendant deux ans dans les cours du Lycée.

Sauf, sans doute, pour les camarades de sa classe, il passa assez inaperçu. Il n’y avait naturellement personne pour lui lancer, tel Enée dans Virgile, la prophétie fameuse : « Tu Marcellus eris » (traduction adaptée : « Tu seras le grand philosophe existentialiste du XXème siècle ! »).

Quand il est arrivé, j’étais en 3ème, lui en 4ème. Je ne l’ai pas connu de façon particulière mais, en examinant ses photos de l’époque, je le revois très bien et je reconnais en lui un des camarades avec lesquels nous avions des rapports quotidiens dans la cour de récréation de ce lycée peu peuplé. Lorsqu’il quitta La Rochelle, j’avais sauté la seconde et j’étais en 1ère, lui en 3ème. Mon vieil ami d’Aygalliers, qui était alors dans l’établissement le président de la Ligue Maritime et Coloniale, me dit avoir en sa possession un bulletin d’adhésion signé de sa main cette année-là. Détail assez cocasse, quand on songe à sa destinée politique… ; peut-être était-ce un souvenir de son père, lequel avait été officier de marine.

Bien que son grand-père abusif, dont il a tant parlé dans ses Mémoires intitulées « Les mots », fût de religion luthérienne, Jean-Paul Sartre a été élevé, selon les vœux de sa grand-mère dans la religion Catholique et, selon sa propre expression, « poussait, herbe folle, sur le terrain de la catholicité… de là vint, dit-il, cet aveuglement lucide dont j’ai souffert trente années ».

Il y a quelques années seulement, lorsque l’association des anciens élèves du Lycée apposa une plaque commémorative à la chapelle, en souvenir de l’abbé Aubert, qui avait été notre aumônier unanimement estimé, Jean-Paul Sartre prit part à la souscription en envoyant un chèque généreux. Et pourtant, n’est-ce pas à La Rochelle, un matin de 1917, que Jean-Paul Sartre, « attendant des camarades pour se rendre au Lycée, se mit, pour se distraire, à penser au Tout Puissant ; tout à coup, celui-ci dégringola dans l’azur et disparut sans donner d’explication. De fait, il n’eut jamais, depuis, la moindre tentation de le ressusciter. ». Je tiens à dire que j’écris tout ceci sans la moindre malice, car j’ai pour Jean-Paul Sartre une profonde admiration.

Anciens élèves de Fromentin

André Théau, élève à Fromentin de 1935 à 1942

Plutôt que de rajouter l’anecdote à l’anecdote, je préfère vous faire partager une réflexion d’ensemble sur le souvenir des années que j’ai passées au Lycée Fromentin.

Comme la généralité de mes condisciples, après avoir été reçu à l’examen d’entrée, j’ai rejoint en 1935, à l’âge de 11 ans, les bancs de la 6ème.

Les parents de mes camarades étaient, pour la plupart, soit des fonctionnaires (souvent des enseignants comme les miens), soit des bourgeois laïques, soit des membres de la communauté protestante rochelaise qui n’avaient toujours pas digéré la prise de La Rochelle par des troupes royales commandées par un Cardinal. Ceux qui pratiquaient  régulièrement la religion catholique, choisissaient pour leur progéniture le Lycée privé Fénelon.

La tradition de l’enseignement du latin, étant considérée comme une priorité de bon aloi, j’y fus astreint. Le casse-tête de la grammaire latine, des versions et des thèmes, me permit de découvrir une civilisation (héritée pour une bonne part de celle des Grecs) d’une richesse incroyables par sa diversité, son inventivité, son pluralisme intellectuel, ses lois votées par des assemblées élues, sa priorité donnée à l’enseignement,  sa tolérance envers l’homosexualité, son amour du beau.

Cette civilisation plaçait l’homme au centre de ses priorités d’une façon telle que sa mythologie religieuse n’était qu’un énorme roman à tiroirs qui narrait les aventures des déesses et des dieux dont les motivations, pour le meilleur comme pour le pire, étaient identiques à celles des femmes et des hommes.

Le « mens sana in corpore sano » était une réalité quotidiennement vécue qui s’illustrait par la prise, dans la représentation publique et privée, des corps dénudés de femmes et d’hommes par des sculpteurs qui nous ont laissé tant de chefs-d’œuvre.

Né dans une famille d’athées, j’ai eu vite le sentiment que ma fibre identitaire était celle d’un gallo-romain et non d’un judéo-chrétien. J’en suis toujours persuadé.

Je terminerai en rendant hommage à la qualité pédagogique du corps professoral qui m’a formé. Soyons objectifs, une petite minorité de professeurs était chahutée parce qu’au Lycée, dans cette période comme à celle de maintenant on se montrait joyeusement impitoyable vis-à-vis des enseignants qui faisaient preuve de faiblesse.

André Théau

Anciens élèves de Fromentin

Bernard Trocme, élève à Fromentin de 1941 à 1948

On me demande un témoignage sur mes années de présence au Lycée Fromentin de 1941 à 1948. C’est assez embarrassant parce que ces années sont bien lointaines et que leur souvenir s’est estompé. Il ne reste que quelques images ou impressions, probablement déformées par la nostalgie et très insuffisantes pour fonder un témoignage totalement fiable.

Une certitude cependant : mes sept années d’études secondaires ont été fortement perturbées par la guerre. D’avril 1943 à mai 1945, il a fallu s’exiler. Pour ma part, j’ai atterri au Lycée Pierre Loti de Rochefort avec quelques-uns de mes camarades rochelais. Dans ma mémoire, ces deux années rochefortaises ont laissé une empreinte de tristesse. Pierre Loti paraissait sinistre à côté d’Eugène Fromentin. On y travaillait plus dur qu’à La Rochelle, me semble-t-il, dans une ville sans aucun attrait à cette époque.

Cela explique que le retour à Fromentin en mai 1945 ait eu à mes yeux la couleur d’une libération. J’avais quitté un établissement plutôt convivial en 1943, malgré les épreuves de la guerre, pour un lycée qui me semblait froid et inhumain. Je retrouvais en 1945 ce bon vieux Fromentin dont l’image était sans doute enjolivée dans mon esprit par l’allégresse de la Libération. J’arrivais même à trouver un certain charme au curieux fronton de la cour du même nom et à la verdure qui égayait la cour d’Honneur. Je n’irais par jusqu’à dire que tous les professeurs m’étaient sympathiques, mais il régnait une atmosphère moins pesante qu’à Rochefort, une sorte de légèreté qui s’accordait bien à l’esprit de la ville.

Je ne veux pas cependant passer sous silence un moment odieux de la vie au Lycée Fromentin durant l’Occupation, plus précisément durant l’année 1942. Les élèves des grandes classes suivaient avec la passion que l’on peut imaginer les événements de la guerre et les actions de la résistance. Ces jeunes gens allaient parfois jusqu’à distribuer des tracts qualifiés de « gaullistes ».

Un individu malveillant, ami de certains journalistes locaux compromis dans la politique de collaboration, n’a pas hésité à dénoncer plusieurs de ces élèves et a été ainsi à l’origine de leur arrestation.

Je n’en dirai pas plus, mais on comprendra que cet épisode lamentable jette, pour moi, une ombre sur le charme discret du Lycée Eugène Fromentin que j’ai connu.

Bernard Trocme

Anciens élèves de Fromentin

Marcelle Ratier, élève à Fromentin de 1941 à 1943, professeur de 1963 à 1991

Mémoires d’une lycéenne pendant la guerre

Après une école primaire à La Tremblade, Marcelle Ratier arrive à l’École Valin de La Rochelle en 1940 où elle passe son Certificat d’Études.

Les allemands ayant occupé le Collège de jeunes filles J. Dautet dès 1940, les élèves déménagent sur Fromentin, et c’est là qu’elle entre en 6e à la rentrée 1941. Les bâtiments sont alors partagés en deux, l’aile droite étant consacrée au collège. Les dortoirs sont transformés en 3 salles de classe séparées par des cloisons à mi-hauteur.

Fille de gendarme, elle ne pouvait pas avoir de bourse, mais sa mère avait pu, par dérogation, trouver un travail dans le magasin « La goutte de lait » qui préparait les biberons pour toute l’agglomération.

A Fromentin, il n’y a pas à l’époque de cantine et les élèves sont externes. De cette époque, elle se souvient très bien des lettres qu’il fallait écrire au Maréchal Pétain, et des distributions de biscuits vitaminés que les filles jetaient par la fenêtre aux garçons qui allaient en récréation dans la cour de la chapelle. La cour des tilleuls était quant à elle le domaine des filles.

Ce ne sera que de courte durée car la milice fait du lycée son quartier général et le 23 avril 1943 le lycée est fermé. L’école normale de filles, aussi occupée par les allemands, avait déménagé à Marans.

Les élèves se retrouvent alors par petits groupes de 7 ou 8 pour suivre les cours au domicile des professeurs. À cette période, Pierre Ratier, son futur mari, se retrouve pensionnaire à Rochefort en même temps que Michel Crépeau. D’abord évacuée chez ses grands-parents maternels dans le Béarn pour terminer l’année scolaire, elle remonte ensuite à Poitiers où, élève au Lycée dont l’internat est très restreint, elle devient pensionnaire chez des religieuses.

Elle quitte Poitiers la veille du bombardement par les alliés le 12 juin 1944, revient à La Rochelle pour l’été. Pour l’anecdote, elle n’avait pas pu renouveler sa carte d’alimentation qui lui avait été adressée par la poste à Poitiers. Son père, gendarme, est alors parti à vélo pour aller la chercher pendant le week-end ! De retour à Poitiers (libérée) à la rentrée, elle passe alors l’année scolaire au Lycée de Poitiers, n’ayant plus le droit de rester à La Rochelle, le siège ayant commencé.

En 1945, dès la Libération, retour à La Rochelle où Dautet et Fromentin sont rouverts, et la vie reprend peu à peu. En terminale, elle côtoie Josette Cousin, épouse de notre administrateur et ancien Président ; bac philo en 49, licence d’allemand à Poitiers, un an à Ochsenhausen en Allemagne (1953) comme assistante de français, puis à St Maixent pour un remplacement.

Après le CAPES en 1963, Mme Ratier devient professeur d’allemand à Fromentin jusqu’en 1991, date à laquelle elle prend sa retraite. Son mari, Pierre, professeur d’anglais et ancien secrétaire de notre amicale, nous a quittés en 2016 (voir le témoignage de Pierre Michelet dans notre bulletin 2016).

Anciens élèves de Fromentin

René Guillot, élève à Fromentin de 1948 à 1951

A l’occasion d’un mail adressé aux anciens de Fromentin, j’avais suggéré que le temps du confinement puisse être mis à profit pour jeter sur le papier les souvenirs de vos années bahut et vous avez été un certain nombre à me répondre. Merci  Pierre, Paul et Jacques… Nous allons bientôt publier vos témoignages sur Internet.

Le témoignage de notre ami René Guillot rappellera à plus d’un d’entre nous des noms et des souvenirs de notre passage à Fromentin…

Je garde précieusement le souvenir du regard que m’adressa Monsieur Châtenay lorsqu’il me remit le Prix de Français, en 4e. Comme mon père, il avait été Prisonnier de Guerre et m’avait pris sous son aile. C’était un homme à l’autorité placide, avec lequel il était facile de discuter et j’aimais ça. Il me conseilla d’entrer en Seconde spéciale pour préparer le concours d’entrée à l’EN et m’aida pour améliorer français, grammaire et commentaires de textes.… Plus tard, j’eus le plaisir de travailler pendant une dizaine d’années avec l’une de ses filles, Monique, qui après avoir été Directrice de l’école de Filles de Marennes, devint Conseillère Pédagogique dans la circonscription de Royan.

J’ai une pensée reconnaissante pour Monsieur Auzanneau, le Censeur dont le fils Michel était dans ma classe. Dans l’appartement de fonction qu’ils occupaient au-dessus du réfectoire, les dimanche après-midi où je me retrouvais bien seul à errer dans les grands locaux vides de toute vie, il m’invitait à venir jouer avec Michel. Au goûter, Madame Auzanneau nous servait des madeleines et des brioches que je trempais avec délices dans un grand bol de chocolat chaud dont les arômes viennent encore chatouiller mon souvenir. J’appréciais toutes ces attentions et faisait mes premiers pas dans la découverte d’un milieu social différent du mien.

Monsieur Perlade, le Surgé (surveillant général), avait accepté que je range dans son bureau le vélo neuf que mes grands-parents m’avaient offert en récompense de l’obtention du BEPC, mon grand-père, mécanicien – cycles, l’ayant lui-même forgé, brasé et monté. Les dimanches où je n’allais pas chez tante Renée à Chagnolet, Monsieur Perlade prenait la responsabilité de me laisser sortir, seul ou accompagné d’un autre pensionnaire, Bélibi Léon, un Camerounais encore plus éloigné que moi de sa famille et qui bénéficiait du même privilège.

J’aimais bien la compagnie des camerounais. Ils étaient six ou sept. Outre Léon Bélibi, je peux citer Edda, Bomba, Ebanga, Attangana un garçon très gentil, bâti comme un Dieu du stade. Il se disait que, fils de chefs ou de notables du Cameroun, ils étaient pris en charge par la France pour faire leurs études en France. La plupart faisait partie des équipes de sports collectifs du lycée dans lesquelles j’avais réussi à faire ma place.

J’ai toujours un sentiment de culpabilité lorsque j’évoque la mémoire de Monsieur Jacques, un autre professeur d’histoire, terriblement chahuté par des générations d’élèves et qui s’est suicidé. Ce professeur, d’une grande érudition mais trop gentil et sans autorité, ne savait pas se faire craindre. On le surnommait « Zazou ». En face de nos noms, il mettait des petits cœurs quand nous avions été gentils et des petites croix quand nous avions été « méchants ». Quand, après s’être égosillé en vain à nous faire taire, il se mettait en colère, hurlant que nous étions des petits voyous, ce qui redoublait nos cris, nos chants ou nos fous rires, il démontait sa chaise et tapait de grands coups sur son bureau. Le moment était attendu et il y avait toujours une bonne âme du premier rang pour glisser sournoisement le stylo du prof au bord de la table. La colère de Zazou s’arrêtait net lorsque le dossier de chaise s’abattait sur son malheureux stylo, le réduisant en miettes. « Vous pouvez sortir ! » balbutiait-il d’une voix brisée…

J’ai retrouvé, parmi les professeurs de l’Ecole Normale de l’avenue Guiton, Monsieur Vacherie professeur de dessin dont j’ai apprécié les cours dans les deux établissements, et, en allemand pendant trois ans, Monsieur Blancassagne. Cet homme élégant, toujours soigné de sa personne, au casque argenté (Blancassagne = « châtaigne blanche ») et soigneusement lissé, était toujours d’humeur égale, faisant preuve d’une rare courtoisie envers ses élèves. Le gros avantage de l’allemand première langue est que je n’ai jamais connu de classe de plus d’une douzaine d’élèves. En seconde, première et terminale, toutes trois passées avec lui, garçons, filles de l’ENF et niveaux mélangés, nous n’avons jamais été plus de trois !  Polyglotte, il jonglait avec le grec et le latin et nous faisait comprendre la logique de la grammaire et de l’orthographe, les apparentements des unes avec les autres. Il me donna l’amour des mots et du chant de la langue. Lorsque je cherche une tournure ou que je bute sur une expression qui ne traduit pas correctement mon idée, je me surprends à l’évoquer, toujours amusé et avec tendresse. …

Je citerai aussi Monsieur Aury, le prof de Maths, que nous aimions bien même si comme tout le lycée nous le surnommions « Laouya » car il avait un tic de langage que les générations d’élèves se transmettaient sans malice. Tout à sa démonstration, il dictait : « Tracez un trait de laouya A jusqu’à laouya B » et cela bien sûr plusieurs fois pendant le cours… (On trace un trait de là où il y a un point A jusque-là où il y a un point B)

Interne, j’ai eu beaucoup de bons copains, mais le temps passant, j’ai oublié beaucoup de noms. Je me souviens de Vendès, un externe avec lequel j’étais en compétition pour la place de premier en compo de Gym, Jean-Pierre Bertin, Marc Bréchoire, Coco ou Nono Billet, Favrelière et surtout Pierrot Gervais avec lequel je faisais souvent équipe lors des innombrables parties de pelote que nous disputions sur le fronton de la cour. Nous disputions le plus souvent des parties en double et comme nous nous entendions bien, nous étions souvent ensemble, nous gagnions souvent et donc jouions souvent. Nous avions passé quelques jours de vacances, moi chez lui, à Loiré de Vérines et lui et moi chez une tante dans l’Ile d’Oléron. Je crois qu’il est devenu prof de maths, mais nous nous sommes perdus de vue. Il y a une quinzaine d’année, je suis allé à Loiré pour essayer de retrouver sa trace, mais personne n’a pu me renseigner.

René Guillot

Allain Bougrain-Dubourg, élève à Fromentin de 1960 à 1967

Biographie

Allain Bougrain Dubourg jeune

Allain Bougrain Dubourg jeune

Allain Bougrain-Dubourg est le fils de Patrice Bougrain-Dubourg (1920-2010), qui fut résistant puis député de Saône-et-Loire après la Libération, et de son épouse, née Edmée Bouïre de Monnier de Beauvallon, et le petit-fils du général Gabriel Bougrain.

Il découvre la nature sur l’île de Ré où sa famille a une maison de vacances, et au Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle, étant pensionnaire au lycée Eugène-Fromentin durant sept ans.

Épris de la vie animale, il devient à douze ans le correspondant pour La Rochelle du club des Jeunes Amis des Animaux (J.A.A.) fondé par Jean-Paul Steiger (1943-2011) ; à cette époque, il est surtout passionné par les reptiles et les rapaces.

À dix-huit ans, il donne des conférences dans les écoles, puis crée une exposition itinérante, baptisée le Pavillon de la Nature, afin de sensibiliser le public à la protection de la biodiversité. Soutenu par l’académicien Jean Rostand et le Président du Muséum National d’Histoire Naturelle Jean Dorst, il devient lauréat de la Fondation de la Vocation en 1969. Après le décès de Jean Rostand, il le remplaça comme membre du Jury et administrateur de la Fondation jusqu’en mars 2020 …/…

Voir aussi:

Témoignage

Allain Bougrain-Dubourg : dédicace aux anciens de Fromentin

Allain Bougrain-Dubourg : dédicace

Dans les premiers chapitres de ses mémoires « Il faut continuer de marcher » parues aux Editions de la Martinière en 2015, Allain Bougrain-Dubourg évoque ses années passées au Lycée. Adhérent de l’association des anciens de Fromentin depuis de nombreuses années, il nous a autorisés à en publier ici quelques extraits.

Vous apprendrez avec les fils de marins-pêcheurs !

Etrange enfance que la mienne, bercée de souvenirs mondains, de soirées merveilleuses organisées par mes parents auxquelles écrivains et ministres assistent volontiers. De cette enfance schizophrène, je conserve le souvenir d’une maman n’ayant pas d’autre priorité que d’offrir une constante tendresse à ses enfants, et d’un papa forçant l’admiration mais redoutablement sévère.

La manière forte imposée par mon père ne réussit pourtant pas à améliorer nos potentialités intellectuelles. Nous passons d’un collège de jésuites à un autre et le constat reste identique. Mon frère Robert et moi n’atteignons pas le niveau. Dès lors, la pension en province s’impose comme le dernier espoir. « Vous apprendrez avec les fils de marins-pêcheurs qu’il n’y a pas que des privilèges dans la vie! » nous lance mon père.

L’arrivée au Lycée et la découverte du Muséum

Quand nous débarquons dans le vaste lycée de La Rochelle qui compte quelque cent soixante-dix internes, le choc est rude. À dix ans, je dois rompre avec la tendresse maternelle pour apprendre à marquer mon territoire. Je demeure solitaire, timide et rêveur, n’éprouvant guère le besoin de m’intégrer dans les clans qui se sont constitués dès la rentrée.

Seuls les animaux semblent alléger ma solitude. Je n’ai aucune compétence particulière, mais ils aiguisent ma curiosité en incarnant l’inconnu. Leur image, distillée dans les livres scolaires, révèle des fauves aux canines menaçantes, des aigles aux serres tranchantes, des chatons aux postures touchantes. Cette ménagerie disparate m’invite à la rejoindre. Je veux la toucher, la sentir et parfois même la posséder.

Certes, je ne peux fuir le lycée pour rejoindre les forêts exubérantes ou les savanes africaines à la découverte de la faune sauvage, mais une autre porte d’entrée s’offre à moi. Elle est située juste à côté du pensionnat et sur son fronton, il est écrit « Muséum d’histoire naturelle de La Rochelle ». Je préfère l’espoir d’évasions sauvages à la compagnie de mes copains lycéens et me tourne vers elles chaque jeudi après-midi, jour de congé.

Les secrets de son casier de pensionnaire

Fromentin - Année 1965-66 - 1re M2 : élève Allain Bougrain-Dubourg [Archives départementales 17]

Allain Bougrain-Dubourg élève de 1re M2 (1965-66)

Toujours aussi réfractaire à la scolarité, je finis pourtant par m’adapter, bon gré mal gré. J’aménage un petit vivarium dans mon casier où je conserve des serpents, grenouilles et autres lézards récupérés lors de mes expéditions… Cette ménagerie insolite ne manque pas d’attirer l’attention bienveillante des autres pensionnaires.

William Leymergie, sous le charme de ma sœur Bernadette après que je lui ai montré sa photo, Jean-Paul Jaud, qui déjà voulait marcher dans les pas de Godard, et quelques autres, que je retrouverai plus tard à la télévision, s’en souviennent encore. Finalement, ma passion insolite suscite une certaine popularité. Plutôt solitaire et timide, j’en viens à attirer les regards. Je n’ai plus à aller vers les autres, ce sont eux qui m’approchent. Cette reconnaissance réconfortante me convient parfaitement. J’en use volontiers, espérant me distinguer dans cette communauté uniformisée. Ainsi, alors que je figure parmi les plus mauvais élèves, je suis nommé sept fois chef de classe durant mes sept années de pension!

Il faut dire que j’ai pris de l’assurance, en organisant notamment des événements singuliers. Un soir, rendez-vous est donné dans le dortoir à tous ceux qui le souhaitent (moyennant une petite pièce !) afin d’assister au spectacle : je fais le pari que je mangerai une rainette vivante. Grisé par le défi, je ne pense même pas au sort de la pauvre bête, pour laquelle j’ai cependant de l’affection. Les pensionnaires se pressent tandis que quelques copains assurent la collecte. Le silence s’installe. Me voilà au pied du mur. J’avale d’un coup le misérable batracien, comme l’aurait fait une couleuvre. Et tandis que la rainette progresse péniblement vers mon estomac, je regrette déjà.

Non parce qu’elle me chatouille les boyaux, mais parce qu’elle est devenue l’otage innocent de mes exhibitions. Ce sera la première et la dernière fois!

Plus tard, je relèverai un défi autrement plus apprécié : les pensionnaires doivent mettre leurs chaussettes dans un lavabo et je prends l’engagement de boire le jus après macération. Je renouvellerai cette redoutable expérience périodiquement pour enrichir la cagnotte de notre petit clan. Ce pécule engrangé n’est pas négligeable, mais j’avoue que mon nouveau statut de vedette me semble autrement plus enrichissant.

Malgré ces festivités et quelques autres qui animent mon quotidien de pensionnaire, les journées restent une épreuve. Mon inculture me tire vers le bas. Même les sciences naturelles ne parviennent pas à me séduire, bien que j’aie la certitude naïve d’en savoir plus que mon professeur.

Consignes et punitions

« Votre fils, Allain Bougrain Dubourg, sera consigné au lycée le week-end prochain. Motif : un surveillant a trouvé des serpents vivants dans son placard, malgré l’interdiction qui lui a souvent été rappelée. »

Cette sanction, adressée à mes parents, n’étonne plus personne. Quant aux conséquences, elles ne me surprennent pas davantage : mon père double la peine. Quand le pensionnat me consigne durant un week-end, il ajoute le week-end suivant! J’en mesure la portée le vendredi après-midi lorsque, telle une envolée de moineaux, les internes passent le grand portail du lycée. Me voilà orphelin de leur amitié, condamné à faire bonne figure avec la poignée d’élèves également punis.

Loin de calmer mes incartades, les punitions m’endurcissent. C’est donc sans état d’âme, ou presque, que je profite de la nuit pour grimper avec quelques copains jusqu’aux gouttières qui bordent les toitures du lycée. Objectif : récupérer les balles égarées par les mauvais joueurs de pelote basque. Le lendemain, nous leur soldons ces balles perdues.

Grâce à ces escapades, à ces défis lancés à l’autorité scolaire, je m’évade quelque peu; les insurmontables contraintes du pensionnat deviennent ainsi tolérables peut-être même appréciables. Et avec le temps, le proviseur fait preuve à mon égard d’une certaine tolérance Lorsque sonne l’appel des internes et que je ne réponds pas « présent », il contacte immédiatement le Muséum pour que je regagne l’établissement, en me faisant promettre que ce sera la dernière fois… Le lycée, panaché du Muséum et de l’île de Ré, trouve finalement sa place dans une adolescence qui s’annonçait pénible.

Spirou et le club des jeunes amis des animaux

Les jours auraient pu s’égrener au rythme des petits événements qui forgent l’expérience, mais un appel à la solidarité lancé par le « Club des jeunes amis des animaux » dans l’hebdomadaire Spirou vient bouleverser ce quotidien. Nous sommes trois pensionnaires à répondre à l’appel. Trois complices, aussi différents que complémentaires, et sincèrement motivés par la cause animale. Notre engagement est largement récompensé par le plaisir que nous avons à nous retrouver, chaque soir, avec l’ambition de refaire le monde.

Je n’avoue pas au Club des IAA, avec lequel je corresponds régulièrement, la faiblesse de notre représentation. Je me contente de lui envoyer sur papier glacé la composition du bureau de notre récente association. Je suis nommé président, et les deux sièges vacants sont occupés par les deux autres fondateurs. Le plus littéraire s’arroge les fonctions de secrétaire général, tandis que le plus doué en calcul assume celles de trésorier.

Les « Jeunes amis des animaux » de La Rochelle, sans connaître la popularité escomptée en termes d’adhérents, acquièrent cependant une notoriété grandissante. Notre réputation dépasse même les frontières du lycée; nous héritons périodiquement d’un hérisson meurtri, d’un merle tombé du nid, d’une grenouille éclopée. Les reptiles capturés par mes soins s’ajoutent à cette ménagerie disparate qui élit momentanément domicile dans mon placard de dortoir.

Un chemin hors des sentiers battus

Après sept années de pension, mes notes restent désespérément faibles. Par quel miracle ai-je progressé de classe en classe au cours de ma scolarité? Je ne me l’explique toujours pas. Peut-être les enseignants du lycée Eugène Fromentin ont-ils fait preuve de tolérance, voire de sympathie envers l’étrange enfant que j’étais…

Je sais pourtant que j’ai mis trois ans à obtenir mon BEPC, et que j’en mettrai probablement bien davantage à décrocher le bac. J’ai la conviction que poursuivre ma scolarité relève de l’absurde. Arrivé miraculeusement en première, je souhaite mettre un terme à ces années de pensionnat, à la fois merveilleuses et si pesantes, afin de basculer dans un monde nouveau.

Je rentre à Paris! Ma décision est prise, irrévocable. J’ai dix-huit ans, je sais déjà que l’incontournable baccalauréat qui sanctionne le long parcours des élèves studieux n’est pas fait pour moi. À quoi bon insister? Ma Jeunesse, les enseignements glanés au Muséum, l’attirance que j’éprouve pour le monde animalier depuis l’âge de dix ans m’incitent à emprunter un chemin hors des sentiers battus.

Allain Bougrain-Dubourg

William Leymergie

William Leymergie, élève à Fromentin de 1961 à 1966

William Leymergie jeune

William Leymergie jeune

Parmi les nombreux élèves qui ont fréquenté le Lycée Fromentin, certains sont devenus des personnages publics, des « célébrités ».

Tout le monde connaît William Leymergie. Journaliste, animateur et producteur de télévision, il est surtout connu pour être l’animateur de Télématin, l’émission matinale d’information de France 2.

Il est né le 4 février 1947 à Libourne en Gironde et passe les premières années de sa vie en Afrique, au gré des affectations de son père, officier dans les troupes coloniales. Compte tenu des évènements d’Algérie, ses parents choisissent de lui faire poursuivre ses études comme pensionnaire en métropole, au Lycée Fromentin de La Rochelle.

Dans son livre « Les dents du bonheur », il raconte avec tendresse et nostalgie ces années Lycée. Il y évoque notamment sa rencontre avec un autre lycéen qu’il retrouvera plus tard à la télévision, Allain Bougrain-Dubourg.

Il a très gentiment accepté que nous en reproduisions des extraits dans ce bulletin.

Que de bons souvenirs (et encore je n’ai pas tout raconté ce n’était pas l’essentiel de ce livre. Peut-être une autre fois !). Longue vie à votre amicale. Bien cordialement.

William Leymergie

Le lycée Eugène Fromentin est une immense bâtisse de trois étages datant du XVIIème siècle,  imposante et austère, avec ses coursives en arceaux et son immense cour de bitume granité. Je mets du temps à me repérer dans ce dédale de couloirs et de salles. Les premiers jours, je me sens écrasé par ces murailles vertigineuses et impressionné par la majesté du lieu. Je ne sais pas si je vais faire du bon travail dans ce lycée mais, en tout cas, il a de l’allure.

J’aborde la France par une petite ville de province, avec des compagnons de classe qui sont des gars du coin et me parlent de rugby, de bringues et de nanas avec qui ils rêveraient de conclure. Mon expérience africaine, ils n’en ont rien à faire ! Le dortoir, la cantine, l’étude, la ruée pour aller se laver les dents, les cavalcades dans les escaliers, c’est comme une nouvelle planète. Moi, si solitaire au fond, malgré mon grand frère et mes copains, cette vie communautaire avec des garçons de mon âge, ça me plait bien. C’est aussi la première fois que je m’éloigne de mes parents aussi longtemps, et cette distance qu’ils ont voulu mettre entre eux et moi va me décoller de la relation fusionnelle qui est la nôtre, même si je leur conserve toute ma tendresse.

En revanche, ce qui a traversé la Méditerranée dans mes valises et qui va perdurer, c’est mon goût du spectacle. Au lycée Fromentin, mes capacités à pousser les profs à bout vont atteindre des sommets.

Ce matin-là, comme chaque semaine, nous quittons l’établissement pour rallier le stade municipal. Sur le trottoir d’en face, un groupe de filles passe et je fais le clown pour amuser les copains. Ça rigole dans les rangs. « Leymergie, ça suffit! » braille le prof de gym, un type d’une trentaine d’années, plutôt sympathique, mais que l’indiscipline hérisse. Depuis le début de l’année, il m’a dans le collimateur. En voilà un que je ne fais pas du tout rire, par exemple !

C’est vrai que je suis provocateur, mais j’aime tellement faire le show ! Naïvement, je pense que tout le monde me trouve drôle. Un autre jour, alors que notre professeur de français s’est absenté quelques minutes de la classe au moment de nous rendre nos dissertations, je me précipite sur le paquet de copies et j’annonce haut et fort leurs notes à mes camarades. Les rires fusent : « Il est gonflé, ce Leymergie ! », et bien évidemment, je me fais surprendre par le prof et punir, une fois de plus. Pourtant, je n’ai pas vraiment l’impression de leur manquer de respect. Je me trouve effronté, pas insolent. Mes profs ne perçoivent pas bien la nuance… »

J’en aurai fait des « lignes » pendant mes heures d’étude, des « Je ne dois pas fumer en cachette sous l’escalier » ou « Je ne prends pas la parole sans qu’on me la donne ». Autour de moi, ça travaille en silence, certains commencent déjà à piquer du nez sur leurs cahiers. Le soir tombe, c’est l’heure où l’on aimerait se dégourdir les jambes avant d’aller au réfectoire puis au lit, mais il faut encore cravacher. Dans cette étude, j’ai repéré un drôle de type, plus jeune que moi, un parisien que ses parents ont inscrit dans ce lycée à La Rochelle parce qu’ils ont une résidence secondaire sur l’ile de Ré.

Il m’intrigue beaucoup car il ne parle que d’animaux, d’oiseaux… Dans les revues posées sur sa table, il y a des photos de fauves, de grands singes, et il paraît que son casier abrite un hamster et, parfois même, des serpents ! Totalement atypique, il est plutôt marrant, tout le monde l’aime bien, mais ce qui m’intéresse surtout, c’est qu’il est abonné au magazine Pilote et qu’il nous le prête quand il l’a lu. En province, on ne connaît pas encore ce journal formidable, bien plus marrant que Spirou ou Tintin.

Ce garçon à qui je n’ai jamais beaucoup parlé, je l’ai retrouvé bien plus tard à la télévision : il s’appelle Allain Bougrain-Dubourg, et il a fait un métier de sa passion.

Allain, il faut que je t’avoue quelque chose, cinquante ans plus tard : un jour tu as sorti de ton portefeuille une photo de ta sœur. Elle était tellement jolie que je t’ai subtilisé le cliché pour le montrer à mes copains en la faisant passer pour ma petite amie. Je me suis taillé un beau succès, crois-moi, et j’en ai fait fantasmer plus d’un ! Mea culpa.

Dans un coin de la salle d’étude, j’aperçois notre vieux pion, le plus vieux du Lycée, un bonhomme aux cheveux rares, ratatiné dans sa blouse grise, qui se roule une méchante cigarette de tabac brun. Il doit bien y avoir vingt ou trente ans qu’il rôde dans les couloirs pour faire rentrer les élèves dans leurs classes, comme un berger rassemble son troupeau.

Hanter les escaliers et les coursives, c’est son job, il n’en a jamais fait d’autre, avec toujours la même phrase à la bouche : « Qu’est-ce que vous attendez, là? » Au fil des ans, la phrase s’est érodée, lui-même s’en est lassé, c’est devenu un « quaquendéla, » si peu convaincant qu’on ne l’écoute même plus. Qu’est-ce qu’on lui en a fait voir, le pauvre homme ! Aujourd’hui, j’y pense avec beaucoup de tendresse…

William Leymergie

Anciens élèves de Fromentin

Dominique Le Saout, élève à Fromentin de 1962 à 1972

« Merci Dominique pour ce témoignage tout en poésie, en musiques de notre époque, avec ces petites touches de peinture et de musiques qui nous font revivre les lieux, les hommes et l’ambiance du bahut de ces années-là. Je m’y suis reconnu… »
Gérard Marchaud, président de l’Association des Anciens de Fromentin

Le 15 février 1968 – Un tour de cadran

6 heures du mat. : Hélène, belle, presque dévêtue, assise sur une barque rose au milieu de la place des Petits Bancs, me fait un signe encourageant. Elle arbore la coiffure du cavalier arabe perché au-dessus d’elle et brandit son fusil en riant. Il pleut des larmes de sirop d’orgeat. Je cours la rejoindre, pieds nus. Elle sourit quand je glisse.

– Dominique ! (J’étais prédestiné pour Fromentin)

Réveil. Retour à la réalité. Mais foin des délices de Capoue, c’était mon père criant : « Debout ! » (G. Brassens)

La triste réalité : contrôle d’histoire avec Rizzo, rien révisé, pas fait mes maths, aucune nouvelle d’Hélène. Dehors ? Nuit noire. Froid. J’agite mes chaussures contre le plancher pour faire croire que je me lève, et je me rendors au chaud. Cinq minutes volées au désespoir. (B. Lavilliers)

– Dominique !!!

Là, il faut y aller. Le car passe à 6h36 devant le Nemrod, le bar tabac de Dompierre. Le vent glacé pique le nez et fige les doigts sur le cartable. J’ai dans la tête les dernières informations du transistor : désordre dans les lycées à Paris, Cohn Bendit, Nord Viet Nam…

Sept heures : Debout dans l’autobus bondé. Belle Croix, Sainte-Soulle, Fontpatour, Chagnolet. Plus d’une heure de tournants et de coups de frein, accroché aux poignées, dans le couloir, cartable aux pieds. Impossible de faire mes maths. Si Cardinal vérifie, j’ai un zéro.

Huit heures : Place de Verdun. Enfin. L’autobus vomit sa ration de 8H. (Lavilliers) Foule de futurs bacheliers devant la boulangerie. « Herr Cormerais ist ein Bäker aber Frau Cormerais ist eine Bäkeriiiin » (Mme Ratier.)

Mieux vaut passer sur le trottoir d’en face, côté Quartier Latin. Sur ma gauche, rue Delayant, tout au bout, Dautet. Peut-être m’attend-elle ? On s’expliquerait un peu. Mais non, trop tard ! Je tourne à droite. Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve. (Serge Gainsbourg) J’ai encore oublié ma carte, je vais passer par la porte de la Chapelle, les pions y sont souvent moins regardants. Les petits font une béole contre le mur aux fenêtres grillagées. Je gravis l’escalier vers la cour d’Honneur. Attention : sous le porche, les vieux pavés jaunes sont irréguliers et glissants.

Michel m’attend devant l’étude 2, celle de ma première heure de permanence, jadis, en bizut de 6ème. Nous traversons la cour des Réfectoires, passons devant le bureau du surgé, croisons le regard lourd, impénétrable de M. Ottavi, il flotte une odeur de soupe un peu écoeurante, passons devant Pipo, petit pion professionnel, impassible sous son béret, son Humanité sous le bras. Odeur de tabac froid. Les tables, elles, sentent encore l’eau de Javel suite au déjeuner des penkus. Il ne fait pas chaud, mais la chaise est bienvenue. Michel me refile les exercices de maths et je lui soumets ma lecture expliquée. L’union fait la force. Sans vergogne. La vraie crème des écoliers. (G. Brassens).

Les yeux me piquent. J’ai sommeil. Parfois, Pipo nous laisse dormir, la tête sur nos bras repliés. Du moment qu’on lui fiche la paix… Dans le cas contraire, on le voit se glisser difficilement entre les chaises, l’oeil amusé, sadique, et on se recroqueville, les épaules le plus haut possible, pour éviter les chiquenaudes qui rougiront nos oreilles glacées, bientôt écarlates, douloureuses, brûlantes, tandis qu’il s’éloignera dans un nuage de fumée, mauvais génie, le sourire aux dents jaunes distendu par l’éternel mégot détrempé. Les internes disent qu’il est presque paternel avec eux après 17 heures. Les internes ! Minorité silencieuse et sympathique, on les reconnaissait à leur blouse grise jamais fermée, à leur place réservée avec casier à cadenas, souvent forcé, à leur démarche tranquille de gens « dans leurs murs », à ce qu’ils étaient responsables (insigne honneur), de la feuille de note et du cahier de texte ; on sentait qu’ils étaient là chez eux et que notre cohue les dérangeait un peu.

Moi, j’enviais les externes. Ils n’habitaient jamais loin du Bahut, étaient habillés chèrement, rentraient chez eux au lieu d’aller en permanence, revenaient avec l’odeur du chocolat de maman, ou du café de La Marine pour prendre en dilettantes une petite heure de maths de 4 à 5. Nous, les demi-penkus, on avait parfois droit à une tartine de pain à 4h. Les plus organisés avaient gardé la barre de chocolat distribuée à la fin de chaque repas, mais qui servait le plus souvent de monnaie d’échange contre un dessert, un fruit…

Neuf heures : Contrôle d’Histoire. Rien à dire, rien à écrire, encore une note sous la moyenne, entourée de rouge dans le carnet. Heureusement, suivent deux heures de français. Monsieur Coq, mon père spirituel depuis la sixième, nous parle poésie, cinéma, de cette « nouvelle vague » qui monte, sans déferler. Godard, Truffaut rejoignent La Fontaine, Rabelais, Hugo… deux heures de bonheur.

Midi. : La sonnerie, interminable, nous propulse tous ensemble dans les couloirs, avec des fourmis dans les jambes et l’estomac dans les talons. Il ne faut jamais arriver dernier à une table sous peine d’être « séché », réduits à la portion congrue. Puis c’est la « grande récréation » la meilleure. Une heure dans la cour du Fronton à faire une pelote pour digérer les anchois aux pommes et lentilles vinaigrette, ou à discuter avec les copains, les vrais copains. Ça, c’est bon, chaud, nouveau, épanouissant, l’Amitié.

14 heures. : Une heure de chimie. Jamais rien compris à la chimie. En bas des marches de bois, Berger, en imperméable, ceinture serrée et chapeau, crie « En titre ! », pour éviter le chahut dans l’escalier. On monte au pas cadencé, dans un bel ensemble en signe de protestation. Il nous fait redescendre, et on remonte. Parfois, ça dure longtemps.

15 heures : Interro d’anglais. Peyrot écrit le sujet de l’ « essay » au tableau, sans nous quitter des yeux (il a dû s’entraîner à écrire à l’envers) . « Describe the street you live in » J’y place un maximum de phrases tirées des Beatles. Ce qui me vaut, à chaque bulletin trimestriel, sur papier rose transparent, le commentaire : « Très bon à l’écrit mais absent à l’oral. ». Aujourd’hui, j’envoie un couplet entier de Penny Lane. Perrot, les Beatles, il ne pouvait pas connaître. Pour moi, l’anglais, ça ne se parle pas, ça se chante !

16 heures : Latin de 4 à 5h, indique l’emploi du temps cartonné du Quartier Latin, collé à la première page du cahier de texte. Maître Coq, en blouse blanche, (presque la toge de César), reçoit en pleine poitrine le coup de poignard de Brutus, se tourne vers nous en se chancelant et murmurant « Tu quoque mi fili » avant de s’écrouler sur le bureau où il ne s’assied jamais.

17 heures : Liberté, liberté chérie… (Rouget de Gainsbourg) Je descends la rue Delayant au pas de course. Hélène est déjà sortie. Quinze jours qu’elle ne m’attend plus ! Tant pis ! J’aime mon père, ma mère, mes frères et mes soeurs, (C. François), mais pourquoi aimerais-je quelqu’un à l’extérieur de ma famille ? Pourtant… j’y comprends rien. Je vais déambuler dans les rues de ma bonne vieille Rochelle. (pas de car avant 18 h) Je passe chez Proust et je « vole » la partition du Grand Chêne en l’apprenant par coeur.

Un tour à l’Astrolabe pour voir les bouquins sur la peinture. Je soupire. Quel est ce pincement entre le coeur et l’estomac ? Hélène. Je n’ai jamais vu des yeux marron aussi clairs. Prendre furtivement sa main, oublier un peu les copains. (Y. Montand) J’oserai demain.

Qu’importe ! Bientôt le mois de mai, le joli temps d’aimer. (Brassens) La nuit tombe. Prisunic s’illumine, bientôt 18h. Sur le cours Wilson, les cars attendent leur ration de 6h. La statue de Fromentin me sourit sur la place. (Hervé Cristiani) Ou bien est-ce le cheval ?

« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans. Le coeur fou robinsonne à travers les romans. » Arthur RIMBAUD – Roman (1870)