Michel Serpeaud, élève à Fromentin de 1963 à 1972

Michel Serpeaud

Michel Serpeaud

Dans « Histoires simples d’un enfant terrible », Michel Serpeaud relate une inoubliable  jeunesse des seventies, pleine d’anecdotes, d’émotions et de rires. Certains se retrouveront dans le chapitre consacré à sa scolarité fastidieuse et compliquée à Fromentin (1963-1972). Quelques extraits:

À la fin de mon CM 2, on orientait les élèves dans deux directions : les plus doués se dirigeraient vers le cycle long au lycée Eugène Fromentin de La Rochelle ; les autres, par choix des parents ou prétendument moins aptes à de longues études, seraient envoyés au Cours complémentaire Bonpland (collège d’aujourd’hui) pour un cycle court (6ème-3ème). J’appartenais à la première catégorie, sans toutefois démontrer la plus grande assiduité ou motivation… Je me revois encore en ce 1er octobre 1963, jour de la rentrée scolaire, plongeant dans le grand bain du second degré. La pluie tombait et, de Tasdon, mon quartier, je devais prendre l’autobus jusqu’à la station « Place de Verdun », au centre-ville, puis marcher pendant quelques centaines de mètres avant d’atteindre ma nouvelle école. En franchissant le seuil de cet établissement hors normes et très différent de ceux de maintenant, j’étais loin d’imaginer que j’allais y passer neuf « dures » années de ma vie, jusqu’à la terminale en 1972.

En sixième classique quatre, je fis la connaissance de professeurs. Moi qui n’avais connu jusqu’alors que le traditionnel instituteur protecteur et bienveillant qui enseignait toutes les matières, il faut bien avouer que j’eus du mal à m’adapter à tous ces professeurs plutôt distants qui se succédaient devant nous. Les cours en ce temps étaient très académiques : une estrade près du tableau noir permettait au professeur de faire valoir sa position et de bien marquer son autorité sur ses élèves.

Certains vieux enseignants, se révélaient de très mauvais pédagogues. Je me souviens de mon professeur de sciences physiques, M. Berger, qui se contentait de dicter son cours pendant une heure. C’était d’un ennui! Comment pouvais-je aimer les études dans de telles conditions ? Ce ne fut donc pas une sinécure et l’antipathie que j’éprouvais pour certains de ces messieurs suffisait à me dégoûter de la matière enseignée! Cependant j’aimais les cours d’anglais, de dessin et de musique… bien entendu!

Le lycée s’était agrandi au fil des siècles pour devenir un véritable labyrinthe menant à une multitude de salles et, la première fois que vous entriez entre ces murs, vous étiez complètement perdu, dans tous les sens du terme. Des grillages protégeaient les fenêtres donnant sur la Cour du Fronton, ce qui ne fut pas sans m’étonner car cela rendait les intérieurs fort sombres ; j’y voyais naïvement une connotation carcérale, pensant que ces grilles devaient être là pour empêcher les élèves de s’enfuir! Mais je compris rapidement leur véritable utilité : la pelote basque à main nue, mais quelquefois aussi probablement le jeu de paume! Les balles de tennis ne frappaient sans doute pas que le fronton! Je me souviens de ces parties acharnées, interminables avec les internes après les cours, à 17 heures. Ces internes! Tous en blouses grises plus ou moins propres ; certains ne quittaient guère le lycée et ne voyaient que rarement leurs parents : j’avais de la peine pour eux.

La Cour d’Honneur servait aux cérémonies de commémoration. Ainsi, chaque 11 novembre, on déposait une gerbe au pied du Monument aux Morts qui trônait au milieu du jardin puis tout le monde se recueillait pendant la minute de silence avant d’entonner la Marseillaise. Au-dessus du péristyle carré, se trouvait le bureau du Proviseur, surnommé, comme dans tous les lycées de France, le « Protal », qui plus est, pour le nôtre : « fa dièse » en raison de sa petite taille (près du sol) ou « Charlot » à cause de sa moustache, la même que celle du comique. Sous la galerie, le bureau du Censeur dit « le Sap » (sapait-il le moral?) et, au milieu du corps central de bâtiments, celui du Surveillant général, le « Surgé », selon la gravité des fautes que vous pouviez commettre, vous passiez chez l’un ou l’autre pour recevoir quelques remontrances très acerbes et être assigné aux fameuses « colles » de quatre ou huit heures.

Ah! Nos surveillants, les « pions »: certains ont exercé cette fonction toute leur vie, souvent dans le même établissement, infligeant les pires méchancetés aux élèves durant les heures d’étude. C’étaient souvent de véritables caricatures, à qui nous donnions les pires surnoms, comme ce « Pipeau », le prolétaire, toujours coiffé d’un béret, le mégot aux lèvres, qui vous repérait vite – malgré sa lecture du journal communiste L’Humanité – si vous parliez à votre voisin ; il s’approchait alors discrètement derrière vous pour vous asséner de ses grosses mains, simultanément, une belle chiquenaude sur chaque oreille ! Mieux valait lever le bras, claquer des doigts en les pointant vers le camarade avec qui l’on voulait s’entretenir : Pipeau n’acquiesçait le plus souvent que par un léger signe de tête. Il y avait aussi « Rabattu » ainsi appelé parce qu’il marchait le buste en avant, pas plus fin que les autres mais qui n’hésitait pas à jouer de la règle plate et du « moulin à calottes » comme on disait en ce temps-là ou à vous démontrer par a+b et ce avec la plus grande importance, qu’il ne fallait pas confondre portemanteau et espagnolette! Un grand professionnel de la surveillance ce Rabattu! Il avait inventé un système pour ne pas être dérangé pendant qu’il lisait lui aussi : au tableau, deux colonnes : dans la première venait s’inscrire celui qui, comme précédemment, voulait deviser avec un condisciple mais attention ! Pas plus de cinq minutes autorisées sinon il risquait voir son nom rayé du tableau par un potache ayant la même intention, interrompant du coup l’entretien en cours ; enfin, dans la deuxième colonne, ceux qui voulaient sortir de la salle d’étude : même principe à la fois. Un ballet muet parfaitement au point!

On accédait à la cour de la Chapelle par un escalier menant, sur la gauche, à un vieux gymnase au plancher de bois verni. Cette salle vétuste nous offrait quelques cordes à grimper accrochées en permanence et le vestiaire était si exigu que nous nous entassions au moment de nous changer. Je revois encore dans cette cour, cette immense façade où s’alignaient un nombre incalculable de fenêtres sur plusieurs étages et songeais que deux ou trois de celles-ci correspondaient à une salle de classe ; alors imaginez le nombre de cours, toutes disciplines confondues, dispensés en même temps dans cet établissement! Le lycée Fromentin? Une véritable usine, une machine bien huilée et une parfaite organisation.

La Cour du Réfectoire, comme son nom l’indique, permettait aux demi-pensionnaires de manger entre midi et deux à la cantine. Une odeur de mauvaise cuisine, de tambouille et de graillon y régnait et se répandait à l’extérieur, gâchant le plaisir esthétique car un péristyle, semblable à celui de la cour d’honneur, entourait un espace agrémenté de tilleuls. Curieusement, c’est dans la Cour du Réfectoire qu’avaient lieu certaines manifestations d’élèves, les fameux « sittings » comme on les appelait à l’époque. Nous nous asseyions, groupés, pour écouter les harangueurs de service, les lycéens qui, par leur verve, encourageaient les autres à se rebeller et l’on entendait très souvent le mot « revendication » dans leur bouche pour réclamer des améliorations au sein de l’établissement. Ces « sittings », survenus dans les lycées de France et de Navarre, furent le point de départ des événements de Mai 68 qui aboutiront à la fermeture temporaire du lycée jusqu’au 1er octobre de la même année.

Je terminerai le récit de ma longue et laborieuse scolarité au Lycée Fromentin par deux petits épisodes assez croustillants : en 5e, mon professeur d’anglais, M. Lortsch, nous faisait chanter au début de chaque cours et avant le rituel : « Well! Good morning, Sir! », l’hymne anglais : « God save the Queen ». Malgré mon jeune âge, je faisais déjà preuve d’un sens de l’humour très développé, quoique pas toujours apprécié car parfois de mauvais goût! Ainsi, pour faire rire  mes copains, j’entonnais « God save the gouine ». Un jour, mon professeur entendit cette mauvaise prononciation du noble titre de Sa Majesté, ne comprenant sans doute pas la signification du mot « gouine » me fit répéter seul le mot « Queen » : « Serpeaud, it’s not the gouine but the Queen! Repeat please ». Pour enfoncer le clou et éviter la punition, je répondis que j’avais du mal à prononcer ce mot car j’étais enrhumé. Mes copains de classe étaient pliés de rire.

J’aimais jouer sur les mots et cette manie ne m’a guère quitté. Un jour, Mme Brochard, mon professeur de français de 6ème, voulut rétablir le silence dans la classe et s’écria : « se tait-on?!!! ». Je n’étais pas en reste, ni le dernier pour dire des bêtises et retourner à ma guise la phonétique de certaines phrases. Alors je lui répondis avec beaucoup d’aplomb : « Se tait-on Madame? Lequel? Celui de gauche ou celui de droite?? ». Éclat de rire général dans la classe alors que cette chère Mme Brochard me mettait manu militari à la porte.

Il faut dire que cette femme avait une généreuse paire de seins et, avec le recul, je réalise que commençait déjà à se manifester ma prédilection pour les poitrines plantureuses!… Hélas! Je n’aurai jamais connu la mixité dans les classes au Lycée Eugène Fromentin, les premiers cours, filles et garçons, n’apparaissant que fin 1972, juste comme je terminais ma scolarité. Malgré mes regrets, ce fut sans doute mieux ainsi! La présence d’élèves du sexe féminin autour de moi m’aurait certainement perturbé et je ne serais probablement pas allé au bout de mes études! Mais les rencontres avaient lieu au fameux Café des Colonnes, à côté du Commissariat de Police, où la « drague » allait bon train!.…

Vingt ans plus tard, en 1985, j’étais professeur de musique dans l’Éducation nationale lorsque je reçus une nomination au Collège Fromentin de La Rochelle! Une grande émotion m’envahit : du statut d’élève, je passais de l’autre côté de la barrière et, à la rentrée de septembre, je revis certains des profs que j’avais eus vingt ans auparavant, vieillis, usés par les longues années d’enseignement, attendant la retraite. Certains se souvenaient de moi, d’autres pas, ceci en fonction sans doute, de l’intérêt que j’avais pu porter à leur enseignement! La salle des professeurs, rigoureusement interdite aux élèves, devenait pour moi un lieu de repos entre mes heures de cours.

J’aurai rêvé des dizaines de fois de « mon » lycée, où j’ai vécu une douce et insouciante jeunesse tout en nouant des amitiés très fortes. Je regrette que nos jeunes écoliers d’aujourd’hui n’aient jamais connu cette époque où le temps de vivre était le maître mot et la simplicité de mise. Cet établissement, précédé d’une histoire prestigieuse, mystérieux par son tunnel le reliant au Jardin des Plantes, restera dans ma mémoire avec ses péristyles, ses salles de classe à l’ancienne et ses professeurs bien caricaturaux, dignes de romans anciens. Parfois, lors de mes venues à La Rochelle, j’emprunte la petite rue Arcère, au bout de quelle je retrouve la grande façade, ouverte en son milieu par une porte cochère, et je repense à tous les moments vécus dans ce « bahut ». Mais mon regard n’est plus celui du jeune adolescent rigolard : après quelques minutes, je rejoins les arcades animées de la ville en flânant, essayant d’oublier, en vain, le mal que je me suis fait en reprenant le chemin de mon passé.

Michel Serpeaud